Les huissiers de justice au Maroc


Les huissiers de justice au Maroc 
Un métier émergeant 

   
Par Karim BENDAOUD

Les auxiliaires ou huissiers de justice marocains peuvent-ils être assimilés aux huissiers en France ? La comparaison paraît certes hasardeuse. Mais, il n'empêche que sur certains points, on peut relever quelques similitudes des actions de ce qui est, en France, un corps constitué, généralement haï, et une espèce de corporation embryonnaire au Maroc. 
  
Au Maroc, on assiste depuis quelque temps à l'émergence de ce que l'on pourrait appeler un "nouveau métier": celui d'huissier de justice. Il n'est pas si nouveau que cela, puisque régi par un Dahir de 1981, mais le terrain semble encore en friche chez nous. Car les huissiers, qui ne sont pas des salariés, semblent vouloir s'organiser. Et donner une autre image de leur profession. Beaucoup de travail reste à faire, malgré les efforts déployés pour tirer vers le haut cette fonction. 

Assignation, commandement, procès-verbal, saisie, sommation. La fonction d'huissier de justice est étroitement liée à tous ces termes honnis par la plupart des citoyens qui en font les frais. 
Au XVIe siècle, l'huissier (de justice) en France est l'officier ministériel chargé de signifier les actes de procédure et de mettre à exécution les décisions de justice et les actes authentiques ayant force exécutoire. En France, les 32.000 sont détenteurs du monopole de la notification de la loi : 12 millions d'actes délivrés en 1997, 43 milliards de FF récupérés.  
  
Les huissiers de justice marocains peuvent-ils être assimilés aux huissiers en France ? La comparaison paraît certes hasardeuse. Elle l'est certainement. Mais, il n'empêche que sur certains points, on peut relever quelques similitudes des actions de ce qui est, en France, un corps constitué, généralement haï, et une espèce de corporation embryonnaire au Maroc. Mais, tout d'abord, chez nous, les auxiliaires de justice n'ont pas de formation spécifique. Ce sont, généralement, des bac + 4, licenciés en Droit, qui, après avoir présenté une demande au ministère de la Justice, entrent en jeu, après un stage, pour la délivrance des citations à comparaître, des notifications de jugements et de leur exécution. Ils travaillaient auparavant au sein des tribunaux, mais à présent, ils ont des bureaux où ils travaillent à deux ou à plusieurs, assimilés aux autres professions libérales. N'étant pas salariés, ils perçoivent, en effet, des taxes spécifiques. 
  
Exécution 
  
Pour certaines tâches, ces auxiliaires de justice, qui relèvent de la Cour d'appel de leur circonscription, perçoivent des contreparties fixes. Ils simplifient singulièrement le travail des avocats. Pour certains, leur rôle s'apparente, en plus moderne, à celui de la "ârifa". En tout cas, c'est comme cela que le ressentent les citoyens qui ont eu affaire à eux. Même dans le cas où la personne qui a affaire à eux refuse la notification, ils sont tenus de dresser un procès-verbal relatant le refus. Ce qui a généralement le don d'irriter le juge ou le procureur. Ils ont également pour mission de procéder, toujours après ordonnance du Tribunal, à l'exécution des jugements et aux saisies conservatoires avec l'assistance de la Force publique. Certains reproches leur sont parfois faits. Ils sont, en effet, quelques fois accusés de "s'arranger" avec la personne chez qui ils se rendent et de lui faire ainsi gagner du temps. En ce sens, qu'ils consignent dans leur procès-verbal ne pas trouvé chez elle la personne destinataire de la mise en demeure, de la citation à comparaître ou de la notification de jugement. D'autres révèlent certaines combines ou escroqueries qui ont fini au tribunal. C'est l'exemple de cet huissier de justice qui "oubliait" de reverser au tribunal l'argent de la partie plaignante.  
  
Ce que l'on pourrait toutefois reprocher à nos huissiers nationaux, c'est parfois l'allure quelque peu négligée de certains des leurs. Même si les aspirants, de plus en plus jeunes, essaient de soigner leur allure. En effet, beaucoup de personnes qui ont reçu leurs visites ont d'abord eu un mouvement d'appréhension à la vue de ces personnes, jeunes pour la plupart, et à l'allure quelque peu débraillée. En France, la mesure d'expulsion est l'intervention la plus extrême de l'huissier qui n'est, en la circonstance, qu'un agent exécutant de la justice. Dans un premier temps, celui de la phase amiable, l'huissier est commandité par le créancier. Si le débiteur paie, tout va bien, la procédure s'arrête là. Sinon, dès que la dette excède 3500 FF, le tribunal de grande instance est saisi. Le juge délivre à l'huissier un titre exécutoire. 
  
Convocation 
  
Le débiteur peut encore payer dès le jugement, et il dispose d'un délai d'un mois pour faire appel. S'il a choisi d'ignorer ­ou s'il y a été contraint par le chômage- les sommations, commandements et injonctions de payer, le débiteur va se retrouver au fil des mois et des années dans une posture de plus en plus délicate. Et l'huissier dispose de toute une batterie de "voies d'exécution". il peut opérer une saisie sur salaire, ou saisir un compte bancaire, mesure redoutablement efficace. Les huissiers marocains se contentent, pour leur part, d'être des auxiliaires de justice qui soulagent un peu les avocats de certaines petites contraintes. Si dans l'Hexagone, les huissiers gagnent très bien leur vie, il n'en est pas de même au Maroc, où ces auxiliaires de justice doivent se rabattre sur la quantité, car, il peut arriver que l'huissier ne perçoive, pour une affaire, depuis la sommation jusqu'à la notification du jugement, que 120 dirhams. Mais, gageons que vu le nombre ahurissant de jeunes diplômés en Droit au chômage, cette filière d'un genre nouveau suscitera bien des vocations -gare à l'encombrement !-. Même si leurs visites ne sont pas toujours perçues d'un bon il. Car, elles sont souvent synonymes de convocation au tribunal et sources de toutes sortes de phobies liées aux tracasseries administratives. 
  
Maroc-Hebdo International numéro 366 
Semaine du 2 au 8 avril 1999 p. 26